Cohabiter avec les animaux

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Il y a un paradoxe que je ne m’explique pas… Enfants, nous avons tous observé les êtres vivants autour de nous avec curiosité, tendresse et émerveillement. Des insectes aux oiseaux aux girafes. Apprendre à connaitre le monde, c’est découvrir la diversité des formes du vivant. On collectionne les dinosaures, élève des poissons, rêve d’avoir un chimpanzé… Dans les livres, dessins animés et contes, les animaux sont le plus souvent nos compagnons, nos amis et nos alliés. 

Et puis soudain, quelque part entre l’enfance et le monde « adulte », on se met à avoir peur des animaux, à vouloir les tenir éloignés…

Plus on est urbain, plus la moindre petite araignée a tendance à provoquer des cris aigus. On écrase moustique, fourmi ou araignée sans remords. Des nuisibles, rien d’autre. Entre temps, notre attitude a complètement changé envers le monde animal. Il se scinde désormais entre animaux domestiques (= cute), animaux de la ferme (= nourriture) et animaux sauvages (= lointain, dangereux).

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30 millions d’amis 

J’ai grandi dans les Landes, et passé tous mes étés à l’océan et dans la forêt. Mais après 10 années à Paris, je pouvais désormais me ranger aussi dans la catégorie des personnes « pas forcément plus fan que ça des animaux. » Puis je suis partie au Costa Rica. Sur un coup de tête, un ras-le-bol, une asphyxie. Je rêvais de travailler sur une plage avec des tortues marines. La vie que j’ai découverte au camp de Cabuyal était à l’opposée de celle que je menais entre mon bureau du Marais et mon appartement à Montreuil.

Je me suis retrouvée en immersion et en connection totale avec la biodiversité. En plus de passer toutes mes nuits au chevet des tortues, chaque jour je partageais ma douche, ma chambre, ma cuisine ou mon chemin avec les résidents naturels de cet environnement. Grenouilles, singes, serpents, crapauds, oiseaux, mygales, scorpions. Des iguanes courant sur les murs des dortoirs et des guêpes dansant autour de l’évier. Des plus inoffensifs aux plus impressionnants…

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En effet, les allers-venues affairées des bernard l’hermites sont plutôt passionnantes, mais nettement moins puissantes que les traces ondoyantes laissées sur la plage par un crocodile!

Pour ses recherches de terrain, Adam (l’un des étudiants biologistes travaillant au camp) a installé plusieurs « camera traps » dans la forêt sèche tropicale. Il nous montre ses prises photographiques du jour. Des jambes, nos jambes, d’autres jambes, et soudain: un puma, sur le même chemin que nous en plein jour. Une autre caméra, toute proche du camp, a fait une encore plus belle prise. Une femelle jaguar prénommé Maria. Elle est reconnue grâce au motif unique de sa robe par une base de données partagée par les biologistes travaillant au Costa Rica. 

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Désanthropocentrisme

Ce séjour m’a fait découvrir un rapport totalement nouveau aux êtres vivants. Ils sont devenus mes voisins, mes colocataires. Que ce soit dans les villes ou les villages, les animaux sont partout. Oiseaux, singes, chats, iguanes… Dans cette sorte de zoo à ciel ouvert, les habitants cohabitent avec respect et bienveillance. Etre un vrai local ici, c’est connaître les habitudes et les spots privilégiés des paresseux, des singes hurleurs et du toucan. 

Si la biodiversité animale est présente en chair et en os autour des habitats humains, elle est aussi célébrée dans des images publiques. Partout des fresques peintes mettent en scène les animaux comme nos alter egos. Et de la mise en scène… à la cène, il n’y a qu’un pas (comme ici dans un restaurant de Montezuma où Jésus est un toucan).

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Voir pondre sous mes yeux des papillons ou des tortues m’a remise à ma place. Et nous prenons beaucoup de place sur cette petite planète. Il va être urgent d’en redonner un peu aux autres êtres vivants qui la composent, et surtout qui l’habitait bien avant nous ! Nous devons réinterroger nos attitudes envers le monde végétal et animal pour passer d’une relation de domination à une relation de coopération.

Je rêve qu’un jour la réintroduction d’espèces animales fasse partie de la feuille de route du Grand Paris. 

La proximité avec les animaux rendrait-elle plus heureux? En tout cas au Costa Rica où les gens vivent au contact d’une nature luxuriante, on dirait bien. Il me semble même que la gentillesse, la bienveillance et la générosité qui règnent ici sont directement liées à cet équilibre hommes-animaux. Je me mets à imaginer cette potentialité à l’échelle des métropoles.

Après tout, il est prouvé que la présence d’un animal comme un chien dans une salle de classe aide les enfants à apprendre et fait baisser le stress. Cela s’appelle la « zoothérapie éducative. » Les animaux aident aussi à réduire le niveau de douleur ressentie par les humains et contribuent à briser leur solitude. Alors pourquoi ne pas les inclure plus radicalement dans nos aménagements tout en les protégeant ?

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Vers des nouvelles relations

Il faut cesser de séparer: la préservation de la biodiversité d’un côté, et le développement humain de l’autre. Cela n’a pas de sens. Paradoxalement, tant que nous nous tenons à distance, nous nous nuisons. Nous devons aménager notre espace tout en ménageant celui des animaux. Il s’agit désormais de faire du « design d’écosystèmes ». Et d’imaginer les différentes formes d’habitats qui permettront de faire cohabiter hommes, plantes et animaux.

Habiter et régénérer sont pleinement compatibles. C’est ce que j’ai découvert lors de mon séjour à la Finca Inti, où Tristan produit sa propre nourriture saine, durable et bio dans un bout de jungle qu’il contribue à repeupler petit à petit des espèces animales et végétales endogènes qui en avaient disparu. C’est une équation vertueuse : régénération + production + protection = gagnant/gagnant. Les animaux retrouvent un habitat dans lequel vivre et les humains vivent autonomes dans l’abondance. 

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Quand nous ne détruisons pas leurs habitats, nous ignorons tout simplement les services essentiels rendus en silence par le monde animal.

La disparition progressive des abeilles a fait découvrir au grand public le concept de « service écosystémiques ». Ce sont les fonctions (d’approvisionnement, de régulation ou de soutien) que remplissent chaque être vivant pour participer à l’équilibre d’un écosystème. La pollinisation est le service que nous rendent gratuitement les abeilles. Mais elles ne sont pas les seules à participer à cette grande danse de la fécondation végétale, les papillons et les chauve-souris sont aussi de la partie. Les chauve-souris (dont beaucoup sont aussi en danger) sont des alliées précieuses pour se débarrasser des insectes nuisibles de façon naturelle, notamment les moustiques. Mais comment leur donner un réel poids dans le système économique mondial actuel ?

L’art a un rôle essentiel à jouer dans la diffusion et la traduction de ces savoirs méconnus. L’exposition carte blanche de Tomás Saraceno, actuellement au Palais de Tokyo à Paris, questionne notre connection au vivant et la compréhension que nous avons de son intelligence. Architecte de formation, Saraceno a fait des araignées son sujet de prédilection. Il créé ses oeuvres « en collaboration » avec elles.

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« Les toiles d’araignée ne sont pas que les productions de l’animal, mais le déploiement de son corps et de son système perceptif ». – Jean De Loisy (directeur du Palais de Tokyo)

Leurs toiles nous rappellent de façon symbolique le lien qui unit l’homme aux écosystèmes terrestres. Mais surtout selon l’artiste, elles permettraient à leurs bâtisseuses de capter les vibrations infinitésimales du cosmos: désintégration de météorites, poussières qui se déplacent dans l’atmosphère terrestre, collision de trous noirs provoquant des ondes gravitationnelles… Tomás Saraceno offre une expérience aux confins de l’infra-mince et de l’inaudible au grand public en créant une toile d’araignée à taille humaine, ou le « plus grand instrument à cordes jamais construit » (Rebecca Lamarche-Vadel, commissaire de l’exposition).

 

Plus:

-Le fabuleux livre « The Moon by Whale Light. And Other Adventures Among Bats, Penguins, Crocodilians, and Whales » de Diane Ackerman 

– L’exposition « On Air », carte blanche à Tomás Saraceno au Palais de Tokyo (de octobre 2018 à janvier 2019)

-Le « projet chauve-souris » pour lutter contre les insectes invasifs à Grenoble

-La revue pluridisciplinaire STREAM 04 consacrée au vivant

-Mon article: « Des papillons pour régénérer la forêt tropicale »

-Mon article: « Playa Cabuyal: sauver les tortues sur la côte Pacifique »

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