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C’est mon premier jour au Butterfly Conservatory d’El Castillo au Costa Rica. Je quitte la maison des volontaires et remonte la route de terre, le volcan Arenal dans le dos. Je suis à 8h pétantes à la réception. C’est une petite maison décorée de fresques animalières peintes à la main. J’observe les différents panneaux d’informations, les insectes épinglés sous verre, les différentes chrysalides aux reflets nacrés et le schéma du cycle de vie des papillons sur un poster délavé. Par les fenêtres qui surplombent le Conservatoire, la vie sauvage bat son plein. Il y a des petits perroquets rouges, des colibris gracieux et survoltés, plusieurs singes hurleurs en pleine orgie de petit déjeuner et même un iguane perché tout en haut d’un arbre.
Glenn, le directeur, arrive et me fait visiter les lieux. La forêt tropicale qu’ils ont replanté eux-mêmes, les serres à papillons remplies d’espèces multicolores, les serres de reproduction des plantes hôtes et l’espace consacré aux grenouilles et autres lézards. Je suis plusieurs de ses visites et apprends rapidement les bases de mon nouveau métier.
Blue Morpho, Golden Caligo, Floatting Tigre, Glasswing, Paradise, Blue Wave, Mosaic, Julia… Seulement 3 jours après, je peux pointer et nommer les différentes espèces de papillons costa ricaines. Je connais leur nourriture, leur vol, leurs mœurs sociales et leurs préférences sexuelles. Je suis fascinée par la vitesse à laquelle les choses nouvelles s’apprennent. Il y a quelques jours je ne connaissais rien aux papillons, ni aux grenouilles ; aujourd’hui je guide seule et avec aplomb des groupes de touristes en leur transmettant le savoir tout neuf dont je dispose. « Ranger Papillon pour vous servir! »
Les visiteurs me demandent: « Vous êtes étudiante en biologie? »
« Non; j’ai fait des études d’art, de design et d’architecture. »
« Ah, ça n’a rien à voir alors… »
« Et bien si, justement. Cela a tout à voir! »
The Butterfly Conservatory
Ingénieur américain à la retraite, Glenn a travaillé dans tous les pays du monde. Il a acheté ce bout de terrain près du Volcan Arenal au début des années 2000, après que l’endroit ait été abandonné par les élevages de vaches qui avaient rasé l’écosystème de la rainforest originelle.
En 15 ans, ils ont replanté une à une les espèces et entièrement régénéré le terrain avec des plantes tropicales de toutes sortes.
Ils ont construit les serres à papillons dans le but d’attirer les touristes dans cet endroit reculé et de rendre l’ensemble du projet économiquement viable. Il ne connaissait rien aux papillons au départ, et a tout appris sur le tas. Aujourd’hui, le Conservatoire produit 30 espèces différentes élevées dans 4 écosystèmes représentatifs de la région. Chaque serre accueille un habitat différent contenant des plantes et des espèces spécifiques. La femme de Glenn, Anna, originaire du Costa Rica, s’occupe des plantes et supervise la reproduction des papillons avec l’aide d’une biologiste. Bismark, Girardo et Cheppe s’occupent des jardins, pendant que Glenn et les volontaires guident les touristes dans les serres.
Codépendance et services écosystémiques
Chaque espèce de papillon possède une plante « hôte » ou « nourricière » différente. Les femelles de chaque espèce déposent leurs oeufs sur les feuilles d’une plante spécifique dont se nourrira pendant plusieurs semaines la chenille, avant de devenir papillon. Si la plante « hôte » disparait de l’environnement, le papillon perd sa source de nourriture et son lieu de ponte.
La survie de chaque espèce dépend de la présence des plantes « hôtes » dans son environnement immédiat. Plus les plantes sont diverses, plus les papillons le sont.
En retour, les papillons jouent un rôle clé pour les plantes. Ils assurent leur reproduction naturelle en redistribuant de fleur en fleur le pollen qu’ils transportent involontairement sur leurs corps et leurs ailes. Bien que les abeilles soient considérées comme les stars de la pollinisation, les papillons sont essentiels dans ce processus car plus l’insecte est poilu, mieux il accroche les grains de pollen.
Pour régénérer le terrain et recomposer progressivement la faune et la flore, Glenn et Anna ont sillonné le pays afin de récupérer et bouturer les plantes endémiques constituant la forêt tropicale humide. Les espèces sont reproduites sous serres puis plantées sur place. La culture des différentes plantes « hôtes » permet de générer un habitat riche et diversifié, et d’attirer du même coup de nouveaux insectes, oiseaux et animaux. Les papillons se reproduisent naturellement dans les serres. Leurs oeufs sont ramassés chaque jour et éclosent en laboratoire pour augmenter les chances de survie des larves et des chenilles.
De la déforestation à la régénération
Avant de devenir le pays le plus vert du monde, le Costa Rica avait totalement bousillé son environnement naturel.
Jusque dans les années 1960, l’économie du pays repose sur la production de café, de bananes et de canne à sucre. A ce stade, le Costa Rica commence à investir massivement dans l’élevage. Des hectares et des hectares de forêt primaire luxuriante sont déboisés pour installer des ranchs et des mono-cultures gavées aux pesticides. Les espèces endémiques disparaissent et les sols s’érodent dangereusement.
Au début des années 1990, la ligne gouvernementale change radicalement de cap quant à la gestion des ressources naturelles. Le pays vote une loi forestière qui octroie une allocation aux propriétaires terriens pour promouvoir les opérations de reforestation et de régénération des écosystèmes. Une certaine somme leur est allouée par an et par hectare de nature préservée. Les services environnementaux apportés par les propriétaires au terrain incluent: la plantation d’arbres, la préservation de la biodiversité et la gestion de l’eau. Ces subventions sont financées par des dons internationaux et des taxes nationales.
« Le développement du Costa Rica sera vert ou ne sera pas » affirme Oscar Arias, le président du pays au début des années 2000.
Des scientifiques, ONG et mécènes (le plus souvent américains) achètent alors des pans de forêts entiers pour les convertir en réserves privées, transformant le Costa Rica en un laboratoire d’initiatives privées de protection de l’environnement. Au début des années 1980, les premières fermes de papillons voient le jour et fournissent des espèces à d’autres pays.
Aujourd’hui, un quart du pays est classé en tant que zone écologique protégée. Référence en matière d’éco-tourisme et d’énergie verte, ce pays de la taille de la Suisse détient à lui seul 6% de la biodiversité mondiale. Il a pour objectif de devenir l’un des premiers pays neutre en carbone d’ici 2021.
Un projet dont s’inspirer
Du point de vue du design d’écosystèmes, le Butterfly Conservatory est un projet particulièrement unique car il propose un mix programmatique à la fois vertueux et innovant. Il combine: un sanctuaire de protection et de reproduction des espèces animales locales, une pépinière de plantes tropicales endémiques, un lieu de recherche scientifique, une attraction touristique, ainsi qu’un learning center promouvant l’éducation environnementale.
Fait remarquable à l’ère de l’effondrement des budgets alloués au projets publics, c’est un projet totalement privé qui améliore durablement le bien public.
Ce projet prouve qu’un business peut régénérer l’écosystème local et favoriser l’économie du village, tout en étant une source de revenu et de fierté pour ses propriétaires.
Infos pratiques:
Pour candidater en tant que volontaire, contacter: glenn@butterflyconservatory.org
Plus:
> Mon article: « La vie quotidienne au pied du volcan Arenal »
> Le Butterfly Conservatory sur Youtube
> Site web du Butterfly Conservatory
> Plus d’opportunités de volontariat au Costa Rica sur ce blog
> Mon article: « Playa Cabuyal: sauver les tortues sur la côte Pacifique du Costa Rica »