
Cher jardin, on a bien bossé toi et moi pour cette première année ! A travers le récit de mes découvertes et de mes expérimentations en permaculture, je t’écris ici une petite lettre d’amour pour me souvenir de ce qu’on a fait ensemble et pour partager avec vous ce que tu m’a appris. Merci ❤
Du nouveau chaque jour
okoru, tanabiku, mimizu izuru, fusagu, samushi
Saviez-vous que les Japonais découpent l’année en 72 micro-saisons ? Chacune ne dure que quelques jours et est l’occasion de remarquer un changement dans l’environnement naturel. Du 11 au 15 mars, ce sont les premières fleurs dans les pêchers. Du 5 au 9 mai, les grenouilles commencent à chanter. Du 7 au 11 juillet, le vent chaud souffle. Etc.
Cela ne décrit évidemment pas la vérité de chaque lieu ou climat, mais cela nous rappelle que les variations naturelles sont immenses et infinies. Etre dans le jardin tous les jours et observer les leçons des saisons, de la pluie, du soleil et des herbes folles, c’est mieux que regarder une série 😉 Jardiner c’est aussi il me semble la meilleure manière de passer du temps dehors, en étant toute à la fois productive et en paix.


Un premier cycle
Bref tous ces micro et macro changements m’ont fourni une grande dose d’émerveillement quotidien. Alors, que s’est-il passé dans le Jardin de la Lavra, saison 1 ?!
Automne
Nous avons commencé à travailler en septembre. Nous ne partions pas de rien, il y a avait déjà quelques arbres fruitiers et quelques garden beds plantés de légumes. Nous avons sécurisé tous les garden beds existants en remplaçant le grillage en-dessous pour repousser les gophers (des sortes de petites taupes habiles et affamées). Nous avons construit 2 nouveaux garden beds en Hügelkultur (en enterrant des branches d’arbres sous le sol, on vous décrit le process en vidéo ici) et réalisé des lasagna beds (une façon de créer du sol riche en matière organique via un layering de différents matériaux qui vont se composter sur place). Nous avons planté un abricotier et un persimmon tree (kaki) dans le verger. Il a aussi fallu installer et régler tout le système d’irrigation automatique.
On a mangé ce qui avait été planté dans le jardin avant notre arrivée : des tomates cerises, des poivrons et du kale.

Il a fait très chaud (25-30°) et très sec de septembre à novembre (zéro pluie, même si l’on bénéficie du brouillard de l’océan le matin), l’été indien du jardinage ! Les premières pluie sont arrivées à Thanksgiving (fin novembre) et pour Noël (merci Santa pluie). On compte ici les jours de pluie sur les doigts d’une main… Anne-Sophie, la seule chèvre que nous trayons en ce moment, nous a donné ⅓ de jar chaque jour.

Artichauts, choux de bruxelles, rainbow chard, kale et marigolds : nos premiers baby plantes ! On les avait récupérés gratuitement lors d’un évènement entre fermes à Santa Maria auquel un de nos voisins nous avait dit d’aller. (Merci Gary, you rock) On au aussi eu la chance de faire la connaissance d’une voisine jardinière qui nous a donné de nombreux plants de légumes pour l’hiver en échange de notre aide dans son jardin (Merci Erica, you rock).
Hiver
L’hiver est arrivé, bien qu’ensoleillé, et on a taillé les arbres fruitiers déjà là pour leur donner de la force au printemps. On a commencé tout feu tous flammes le chantier de notre mini food forest dans un espace vierge du jardin. On a creusé et bâti 5 terrasses en cascade, protégé le tout avec du grillage, superposé différentes couches de matériel organique (carton, fumier, feuilles mortes, déchets organiques, paille, etc) et laissé reposer le tout avant de planter du cover crop pour nourrir le sol. On a planté des fava beans partout dans le vignoble et dans le verger pour améliorer la qualité du sol et ne pas le laisser à nu.

On a mangé des laitues, du kale, des broccolinis, des choux romanesco, des betteraves, du rainbow chard, des poireaux, des choux-fleur et des oignons nouveaux du jardin. On a aussi découvert tout un tas de wild greens : des herbes sauvages comestibles qui poussent dans le jardin sans qu’on ne les ai plantées. Mallow, Curly dock et Nasturtium ont été mes préférées. Certaines peuvent être mangées crues comme les fleurs de Nasturtium et les autres sont bouillies ou poêlées.

Il a fait très beau tout le temps, c’était le rêve pour moi éternelle amoureuse du soleil. On a eu un peu plus de pluie, ça faisait du bien. Anne-So a réduit un peu sa production de lait avec la baisse des températures, elle nous a donné entre ⅓ to ¼ de jar par jour. Ca commençait à vraiment pas faire beaucoup de lait pour 2 personnes.
Printemps
Bilan : le cover crop dans la food forest a super bien marché, on était trop fiers ! Sur cette photo ce n’est que le début mais il a poussé super haut avec des fleurs partout pour les abeilles, c’était génial. On a tout coupé au printemps et laissé les débris sur le sol en mode « chop and drop » car c’est la fonction de ce fumier vert. On a planté nos premières plantes aux différents étages : goji berries, framboises, ortie, artichauts, asperges. On a essayé de privilégier les vivaces (ou perennials) : des plantes qui reviennent chaque année sans qu’il y ait besoin de les replanter. Lazy peasy you know 🙂
Les herbes qui poussent ça a du bon à certains endroits mais pas partout… On a passé beaucoup de temps à tondre les herbes folles autour de maison car les règles sont très strictes en Californie pour se protéger des incendies. On a bien pleuré des yeux et du nez.

On a aussi construit 3 nouveaux garden beds, dont un qu’on a appelé « The Boat » (on leur donne des petits noms pour en parler entre nous). On a planté pleins de tomates (nb : en planter moins l’année prochaine !) et de salades et accueilli un nouveau pommier dans le verger. On a planté les Three Sisters, la combinaison agricole traditionnelle chez les Native Americans : corn, beans and squash. C’est un très bel exemple de guild en permaculture : quand les plantes se complètent et s’entraident mutuellement. Le maïs fournit un mât aux haricots grimpants, et les courges se développent au sol. On a ajouté des légumes et des baies dans le verger (intercropping) : framboises, artichauts et courges. On a commencé à designer notre système aquaponique et construit la structure principale.

On a construit un nouvel enclos pour nos chèvres (avec l’aide de supers volontaires, l’article est ici). On a aussi lancé la « Mushroom Station » pour cultiver des champignons dans des troncs d’arbres. Ca prend plusieurs mois, voire années, mais c’est assez génial et très facile à faire : il suffit d’enfoncer des plugs inoculés dans des branches de chêne et de refermer avec de la cire (on a acheté nos plugs chez le pape américain du mushroom : Paul Stamets). Il faut les arroser, les laisser à l’ombre et les oublier.

On a mangé des artichauts, des fava beans (en curry, en purée, en tout ce qu’on pouvait !), des choux de bruxelles, des choux, du rainbow chard, du céleri et des betteraves. Il a fait assez frais en mars et avril, puis bien chaud dès la fin avril, et venteux en mai. La production de lait est remontée et on a eu ¾ de jar par jour de la part d’Anne-So. Sa mère Poe a eu deux bébés (un mâle et une femelle) qui sont nés fin avril. On les a d’abord nommés Bonnie & Clyde, puis Poppy & Dingle. Au début les bébés ne tétaient pas sur son pis droit, donc on l’a vidé pendant les 3 premières semaines pour que ça ne la fasse pas souffrir. Elle nous a donné une jar entière de lait par jour à ce moment là ! C’était cheese season : on a fait du chèvre frais et du cheddar de chèvre.
Eté

L’été c’est l’abondance, le jardin donnait tellement que ça en devenait ridicule ! Les pieds de tomates sont devenus des monstres, ils ont déployés à vitesse grand V leurs bras tentaculaires chargés de boules vertes et rouges dans tous les coins. Les cages à tomates ont été un piètre renfort pour tentez de les contenir… Chez nos Three Sisters, le maïs n’a pas bien poussé du tout, mais les haricots (scarlett runner beans) sont devenus fous, ils ont poussé en des jungles grimpantes dans le Boat, faisant plier sous leur poids les grillages auxquels on les avait amarrés.

On a mangé des tomates (encore et encore et encore -et même des fermes de nos voisins car eux aussi en avaient cent fois trop), des courges, des tomatillos (ma découverte culinaire de l’année !), des bok choy, des poivrons, des salades, des artichauts, des haricots (frais et secs), des concombres, des épinards vivaces (New Zealand spinach). Côté fruits, c’est plus dur, mais on a réussi à avoir : des fraises, des framboises, des loquats (nèfles du Japon, trop trop bons !), des mirabelles et seulement 2 ou 3 nectarines.

Bien qu’il fasse beau toute l’année, l’été est souvent brumeux et foggy sur la côte centrale pacifique. C’est ce que les gens ici appellent le « June Gloom », les journées sont grises et le ciel plombé la première moitié de la journée (généralement le matin). C’est à cause du différentiel de température entre l’océan et l’intérieur des terres qui se réchauffent en été, elles attirent l’air plus froid de l’océan qui stagne sur la côte. En août et septembre, la « saison des feux » a été dévastatrice pour la Californie dans son ensemble. Je ne pouvais même pas regarder les images. La fumée a rendu plusieurs semaines l’air irrespirable bien que les feux soient à des centaines de kilomètres de nous.

Automne
Ici c’est encore quasiment l’été, il n’y a pas vraiment d’automne… C’est le meilleur moment, car c’est le moment de récolter tout ce que l’on a semé. C’était particulièrement gratifiant car on a récolté 10 fois plus que ce que l’on pensait ! C’était dingo 🙂

On a mangé beaucoup trop de tomates délicieuses, encore des haricots secs, du rainbow chard, des courges, des framboises et des fraises. On a récolté des tonnes de Jerusalem artichokes (topinambours) devenus géants dans la food forest. On a testé toutes sortes de recettes, mais les chips au four sont notre préféré. On a croulé sous les grenades et fait plein de bons jus hauts en vitamines.

Tips & tricks
-Ce qui a bien marché : en anglais on dit « build the soil », l’idée c’est que tout part de là et que plus le sol est riche et fertile, plus la production est bonne sans aucun apport d’engrais artificiel. Pour fabriquer naturellement du sol de bonne qualité, on vous conseille la technique de hügelkultur (explications en vidéo ici), les lasagna beds (expliqués ci-dessus), la technique du chop & drop où l’on laisse les matériaux organiques se décomposer sur place (cover crop notamment), et l’ajout de toutes sortes de fumiers animaux (nous utilisons celui de nos poules, de nos chèvres et de cheval car un ranch à côté nous en fournit gratuitement – l’idée en permaculture c’est de combiner les fonctions (stack functions) alors quand on nettoie l’enclos de nos animaux on récolte aussi de l’engrais). Il y aussi certaines plantes qui améliorent la qualité du sol et fixent le nitrogène tout en étant comestibles, comme les fava beans.


On aussi beaucoup aimé se servir des algues (que l’on récolte à l’océan qui est à côté). On les rince bien et les fait tremper dans des gros bacs d’eau pendant plusieurs jours. On utilise ensuite le « thé » obtenu dilué pour fertiliser les plantes. Une fois filtrées, les algues peuvent être simplement ajoutées à la pile de compost.

On vous recommande aussi de planter des fleurs partout, entre les légumes et les fruitiers : des fleurs sauvages et natives, qui ne nécessitent pas d’irrigation et fournissent de la nourriture aux abeilles et aux colibris (il y en a plein ici !)
-Ce qui est encore dur : les graines et la réussite des semis. On n’a vraiment pas un bon taux de réussite… On n’a pas encore de serre mais on a investi dans des petits matelas chauffants et quelques éclairages. Malgré tout, on a encore de gros progrès à faire dans ce domaine ! Le soin des arbres fruitiers est compliqué aussi. Certains ont des maladies (curly leaf, etc). Chacun nécessite d’être taillé différemment selon comment il porte ses fruits. Et quand on a réussi à obtenir quelques maigres fruits (abricots, nectarines), les oiseaux les ont tous dévorés avant nous (ps: ils kiffent clairement notre jardin). Les tomates doivent être bien domptées si on ne veut pas que ça tourne au massacre. Cela vaut le coup de passer un peu de temps au début de leur croissance pour construire une structure solide autour d’elles, et éviter trop de gâchis.

-Économies : Très loins d’être auto-suffisants avec ce que nous produisons, il y a certains produits que nous n’achetons cependant presque plus jamais à l’extérieur : les oeufs et le lait, le pain (qu’on fait nous-mêmes), les légumes verts (même si on en achète quand même parfois pour changer, et quand on manque de salades), des oranges et des avocats (quand nos circuits de troc fonctionnent bien) et des fleurs (on en trouve toujours quelque part selon la saison). On économise aussi en frais de salle de sport car c’est tous les jours un sacré workout qui ne fait pas que les bras !

La magie des graines, la poésie des packaging naturels
“Lorsque les gens n’utilisent pas les plantes, celles-ci deviennent rares. Vous devez les utiliser pour qu’elles reviennent. Toutes les plantes sont comme cela. Si on ne les récolte pas, si on ne leur parle pas, si on ne prend pas soin d’elles, elles mourront.” -Mabel McKay, tresseuse de paniers et ancienne du peuple Pomo de Cache Creek (in Starhawk, Quel monde voulons-nous?)
Ma plus grande découverte cette année aura été à quel point les plantes sont fascinantes, belles et ingénieuses, de leur naissance à leur mort. Et comment le fait de travailler avec elles me connecte à la grande lignée du vivant, et aux humains qui avant moi ont compris, appris et cultivé ces plantes.
D’abord les graines. Elles sont toutes uniques et incroyables. On pense souvent à la pauvre petite bille toute ronde, mais leurs formes, leurs textures et leurs couleurs sont bien plus variées et émouvantes ! Je vous jure, cela va de petits plumeaux multicolores à des micro cristaux rocheux. Cela me fascinait à chaque fois que j’en découvrais des nouvelles, j’avais envie d’en faire des colliers et des bijoux. Au-delà de leurs formes, leurs stratégie de propagation sont aussi étonnantes.
Chez les coquelicots, le coeur de la fleur se sèche en un petit hochet savamment surmonté d’un petit tampon en forme d’étoile que l’on croirait pyrogravé. Chez les pois de senteur, les housses sèchent en prenant une forme de tourbillon pour former un petit toboggan à graines une fois ouvertes. Certaines plantes s’amusent juste plus que d’autres 😉

Et puis la mort, la décomposition. Quand les légumes s’auto-détruisent avec grâce. Comme ces tomatillos, petits lampions de papier vert pâles si délicats et japonisants qui sèchent en devenant une robe à crinoline de dentelle dorée (la finesse des détails est digne du gothique !) Et les housses douces et rembourrées de velours des scarlett runner beans qui deviennent durs comme du carton.

Natures mortes dans ma cuisine
J’ai toujours énormément aimé les natures mortes hollandaises avec les jeux de lumière incroyables, les étalages exotiques mêlant les fleurs, légumes, insectes, coquillages, et autres artefacts naturels mystérieux. Mais je n’avais jamais vraiment bien compris le pourquoi de ces étalages… Ils semblaient si fabriqués et trop agencés pour être réels. Aujourd’hui, quand je vois comment trônent les masses de nourriture récoltées dans la maison et comment cette abondance naturelle devient agencement de toute beauté, je comprends mieux pourquoi !

Plus
-Expérimenter les principes de la permaculture en chantant !! (la #1 « Look around » est ma pref 🙂
-La ferme et école de permaculture du Bec-Hellouin
-différentes techniques de Hügelkultur
-toutes les vidéos de youtube ! “Youtube Academy” (the sky is the limit)