Je n’avais rien prévu avant de partir au Costa Rica, rien de RIEN. Je me disais depuis le début : « je verrai bien sur place ». C’était précisément pour cette ivresse de n’avoir aucun plans que je partais. Je voulais suivre les trajectoires et les intuitions qui se présenteraient à moi.
La veille de mon avion j’ai réalisé qu’il me fallait quand même un endroit où dormir dans la capitale où j’atterrissais. Je savais que je ne passerai pas longtemps à San José, mais c’était la première étape obligée de mon voyage. Via Booking je suis tombée sur une auberge de jeunesse pas chère et plutôt bien placée. Les photos du Sélina de San José dévoilaient une grande terrasse sur le toit, des patios pleins de palmiers et des cours de yoga. Il n’en fallait pas plus pour convaincre mon coeur de cible. J’ai booké un lit superposé dans un des dortoirs et me suis dis encore : « on verra bien sur place si je prolonge mon séjour ou pas. »
L’esprit des lieux
Le taxi me dépose à l’adresse de mon auberge. Je me promène pour découvrir plus en détail les lieux. C’est un véritable repère de jeunes gens cools et branchés, une génération de backpackers venus du monde entier, accrochés à leurs téléphones et ordinateurs portables. On se sent chez soi tout de suite ici. Le lobby est une grande terrasse ouverte sur un bar. Le patio central est entouré de coursives et banquettes. Des hamacs et des chaises en rotin suspendues rendent le tout bien cosy. Il y a des recoins partout : des lieux où s’isoler, des salons, des endroits pour travailler, regarder un film, se faire à manger ou juste chiller.
Le petit-déjeuner étant délicieux et les gens sympas. Je décide finalement de rester 4 ou 5 jours ici afin de préciser mes plans de volontariat pour la suite.
Bar-restaurant-patio – Selina, San José (Costa Rica)
Personne ne reste bien longtemps à San José. C’est un point d’arrivée et de redistribution des flux vers les autres destinations du pays. Les gens viennent au Costa Rica pour surfer, explorer les jungles, bronzer sous les cocotiers. Bien que située en ville, cette auberge est un bon avant-goût de l’ambiance recherchée par ces voyageurs. Les locaux viennent aussi à Selina, le jour pour travailler et le soir pour boire un verre. Au milieu des voyageurs, les blogueurs mode profitent de l’ambiance léchée pour organiser des shooting photos.
Terrasse – Selina, San José (Costa Rica)
En discutant avec ceux qui séjournent dans l’auberge, je découvre un tout autre mode de vie auquel je n’avais jamais songé avant… Beaucoup de ces personnes ne sont pas seulement en voyage, ils/elles mènent leur vie « normale » tout en changeant fréquemment de lieu. Ils travaillent quelques heures par jour sur leur laptop (avoir un métier numérique est un prérequis à ce mode de vie) et sont en vacances le reste de la journée.
Coin cosy – Selina, San José (Costa Rica)
Observations du point de vue du design d’expérience :
- La connexion internet est ultra fluide et rapide (aussi important que l’eau chaude dans la douche en ces jours connectés)
- Les espaces communs sont décorés. Des fresques peintes et des dessins à la craie ornent les murs. On y lit des mantras positifs et des listes d’activités organisées à l’extérieur (excursion en canoë, visite du volcan Arenal..) et sur place (meet-up, yoga class, méditation, etc.)
- Il y a des prises électriques partout : pour charger son téléphone, son ordinateur, sa batterie externe, son appareil photo…
- Il y a des patios ouverts ou semi-ouverts, des demis étages et des plafonds transparents qui créent un environnement propice aux plantes et à l’entrée de lumière naturelle.
- Les structures sont basiques et efficaces, c’est une architecture de poutres et de tôle. Le mobilier est un mélange joyeux de chinage et de récup.
- En plus du bar où commander à manger, il y a une cuisine collective et des frigos partagés, pour ceux qui ont des plus petits budgets ou des exigences culinaires très précises.
- Les dortoirs sont minimaux et propres. Avec le summum pour des digital nomades heureux d’aller se coucher : une prise USB individuelle à côté de chaque lit.
Le voyage comme mode de vie
En une génération seulement, voyager est devenu de plus en plus facile et courant. Les avions aux prix cassés, les réservations en ligne, les réseaux sociaux et les GPS ont hautement facilité nos vies d’explorateurs. Le business de l’hospitalité ne veut pas clairement rater la cible des Millennials qui représente déjà 50% de leurs clients. Une génération née entre le début des années 1980 et la fin des années 1990, qui a grandi connectés aux nouvelles technologies, que l’on appelle aussi les « digital natives ».
« Selina was born out of a desire to celebrate the nomadic lifestyle. We’re here to innovate, disrupt, and remake the travel industry » – Selina
Cuisine partagée – Selina, San José (Costa Rica)
Le flou croissant qui s’est installé entre travail et loisirs s’appelle « bleisure » (business + leisure) ou « workcation » (work + vacation). Selon les études menées par les hôteliers, la moitié des déplacements professionnels rentrent désormais dans cette catégorie. Dans 50% des cas, les gens qui voyagent pour le travail étendent leur séjour pro en séjour perso, invitant leur partenaire, amis ou famille à les rejoindre sur place. En Europe, la tendance des boutique hôtels est suivie par la chaîne hollandaise CitizenM et aux Etats-Unis par les Moxy développés par Marriot.
Billard et tableau des activités – Selina, San José (Costa Rica)
« Millennials traveling for business are looking for fun, social events that connect them to the city where they were staying. » (Washington Post) Une autre chaîne hollandaise, Zoku propose une expérience à mi-chemin entre hôtellerie et co-living. Les chambres sont des lofts modulables conçus pour des courts séjours de vacances ou de travail. Ils permettent d’être indépendant dans son studio, ou de rencontrer des gens dans les espaces communs conviviaux. Leur manifeste promet : « A place you can call a second home, even on your first visit. So much more than a long stay hotel. It’s a neighborhood.«
Des modes de vie communautaires, un business qui s’étend
Les auberges Selina sont déjà implantées un peu partout en Amérique latine (dont 10 rien qu’au Costa Rica!) La chaîne s’étend en Europe (Portugal, Grèce, Allemagne, Autriche, Angleterre) et veut aussi se développer aux Etats-Unis (un énorme marché potentiel). Le 1er Selina américain ouvrira à Miami en 2020. Avec un savoir-faire de plus en plus rodé, Selina est en permanence à la recherche de terrains à bâtir ou de bâtiments à convertir en lieux d’hospitalité nouvelle génération.
La recette du succès de Selina tient à ses prix bas et à son offre tout public. Dans chaque Selina, on peut choisir entre un lit superposé basique dans un dortoir de 16 personnes (qui coûte en général 10-15$) ou une suite familiale tout confort. Il y a tout un gradient entre les deux: différentes tailles de dortoirs, différents types de chambres privées et des hébergements insolites type yourtes, containers ou glamping (aka: glamour camping). Ils peuvent loger tout le monde, du voyageur solitaire au voyageur d’affaires en passant par la bande de potes.
« Whether you’re a digital nomad, family on vacation, adventurous backpacker, or surfer looking for paradise, you’ve come to the right place. Meet your tribe when you stay with Selina. » (Selina)
Cour extérieure – Selina, Granada (Nicaragua)
L’intimité et le confort ont un prix, mais les espaces communs sont pour tous. L’aménagement des hôtels emprunte clairement aux codes des espaces de co-working (comme ceux de WeWork) qui ont adapté depuis plusieurs années les espaces de travail à une population grandissante de travailleurs nomades. Des espaces privés sont reliés par des zones communes attrayantes, tandis que l’esprit de communauté est cultivé via des événements et activités sur place.
De même que les gens qui travaillent en freelance cherchent une communauté pour travailler seuls mais ensemble, ceux qui voyagent seuls attendent de plus en plus de leurs hôtels qu’ils soient des plateformes de rencontre et de sociabilité.
L’expérience qu’ils proposent à leur clientèle est « tout-en-un », ils appellent ça un « écosystème de services et d’expériences« . Les lieux qu’ils développent sont multi-fonctions et multi-cibles. On y vient pour des raisons différentes : manger, se détendre, rencontrer des gens ; mais on y reste pour des raisons similaires, hashtag #SelinaLife.
Instagramable ?
Selina s’adresse à la génération Airbnb, celle qui cherche à se sentir « comme à la maison » partout dans le monde. On est à l’opposé des aménagements standards proposés par l’hôtellerie classique ou les motels. Paradoxalement, cette quête d’authenticité uniformise complètement l’expérience des lieux. Les décors répliquent à la lettre les tendances Instagram et Pinterest : matériaux bruts, mobilier dépareillé vintage, guirlandes lumineuses, fresques murales, plantes et tableaux écrits à la main.
Ce « bon goût » instagramable se partage universellement à base de likes et de selfies.
Terrasse de bar ouverte sur la ville – Selina, Granada (Nicaragua)
97% des millennials postent des photos de leur voyage sur les réseaux sociaux, et influencent indirectement le choix des autres dans leurs futurs voyages. Ces hôtels proposent une esthétique qui plait au plus grand nombre pour séduire autant leurs clients que leurs communautés de followers. Ils auraient tort de se priver d’influenceurs gratuits quand on sait que 3 voyageurs sur 4 postent plus d’une fois par jour sur les réseaux.
Selina ne s’y est pas trompé en proposant un programme de résidence vidéo et photo : Selina Film Residency Program. Les artistes nomades sélectionnés peuvent séjourner tous frais payés dans plusieurs de leurs hôtels en échange d’une production de contenu utilisable pour le marketing de la marque. La cible des créatifs nomades est bien une sous-niche des digital nomades.
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Cercle vertueux ?
Les millennials ne sont pas seulement scotchés à leurs smartphones. Ils sont aussi bien plus soucieux de l’environnement que ne l’était la génération précédente. Cette déferlante pousse ainsi les hôtels à faire de petits pas dans le bon sens, comme au Radisson RED où l’on ne trouve plus aucun papier dans la chambre, à part le papier toilette. Bon d’accord, un tout petit pas à la fois…
Choisir son hôtel c’est choisir sa tribu, mais cela peut aussi être soutenir des actions qui bénéficient à la planète, aux communautés et à l’économie locales. Les génération des millennials dépensent beaucoup moins d’argent lors de ses voyages (beaucoup d’entre eux ont des crédits ou des dettes étudiantes) mais souhaite le dépenser de manière plus vertueuse. Pour beaucoup il s’agit de reprendre du pouvoir en consommant de manière responsable.
Entrée de nuit – Selina, San José (Costa Rica)
Afin de répondre réellement aux attentes de notre génération, les hôtels devraient drastiquement faire décroitre leur consommation d’eau et d’électricité et viser l’auto-suffisance grâce aux énergies renouvelables. Ils pourraient aussi tisser des partenariats avec les agriculteurs à proximité pour fournir en produits leurs magasins et restaurants, ou faire intervenir des étudiants et des artistes locaux pour animer des conférences ou des workshops.
Quand ils appartiennent à de grands groupes, les hôtels peuvent même reverser une partie de leurs bénéfices à des projets sociaux ou éducatifs. L’hôtel EMC2 (groupe Marriott) de Chicago, qui a développé toute son identité autour du dialogue entre art et science, fait un don annuel de 90.000$ pour soutenir un projet qui encourage les jeunes des quartiers défavorisés de Chicago à poursuivre des études scientifiques (Syncere).
La bonne nouvelle ? Il y a encore plein de choses passionnantes à inventer pour que l’hospitalité ne soit plus seulement une marchandise ou un business, mais bien le vecteur d’une synergie vertueuse et durable entre les nouveaux nomades, les lieux qu’ils explorent et les communautés qui y vivent.
Articles sources
-« Six ways hotels are targeting the millennial market (and benefiting us all) » – Article Washington Post
-« Four Critical Strategies For Hoteliers To Win Millennial Business » – Article Forbes
-« How Millennials Are Influencing Change In The Hospitality Industry » – Article StayntouchArticle Stayntouch
-Chiffres de l’étude hôtelière menée par Chase & Marriott
MERCI pour la description de ce lieu « magique » et qui donne envie d’y venir le plus vite possible !!!!
Des mots simples , plein de chaleur , de couleurs , d’ambiances font que cet endroit doit être un un parfait 1° pas pour découvrir le Costa Rica par la suite .
Quelle chance , jeunes et belles et beaux jeunes gens de notre époque qui peuvent ainsi voyager , travailler ( merci l’informatique …) et profiter de lieux de Vie dans le Monde !!!
PROFITEZ de cette CHANCE et semez vos petites graines d’une Autre génération d’Adultes enfin responsables de son Avenir !!
Bisessssss d’un Retraité qui vous envie ……….
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Merci JB de ce commentaire enthousiaste, et merci d’avoir lu cet article !!
Oui c’est passionnant et excitant, et il y a encore beaucoup de choses à découvrir et inventer 🙂
Bisous d’une fermière californienne ❤
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J’ai séjourné plusieurs nuits dans les auberges Selina du Panama : Pedasi et Playa Venao, et ce fut une superbe expérience. Tout y est très bien conçu. J’ai aimé l’accueil, l’ambiance, la décoration, le choix entre la cuisine partagée ou les repas servis au restaurant, ainsi que les activités proposées. Je recommande à tous les voyageurs de s’y arrêter ne serait-ce qu’une nuit !
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Merci pour ce commentaire ! Je suis tout à fait d’accord avec vous :))
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