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Voici un mois que je travaille comme volontaire dans un camp de recherche sur les tortues marines. Cette nuit, je suis du second shift, avec Javi le coordinateur espagnol. Notre camp est situé à Cabuyal, au nord de la côte pacifique du Costa Rica, juste à la frontière avec le Nicaragua. Il est 23:30, nous rejoignons à la lueur de nos lampes frontales la plage que nous patrouillons chaque soir. Nous relayons la première équipe en poste depuis 20h.
C’est une nuit sans lune. Le ciel est perforé de milliers de scintillements. Le plancton bioluminescent s’allume sous nos pieds et fait scintiller l’écume des vagues. Après avoir fait une première pause au Sud de la plage, puis une seconde au Nord, nous découvrons les traces d’une tortue.
Elle vient tout juste d’émerger de l’océan! C’est une Lora, de son nom scientifique : “Lepidochelys olivacea”, ou “Olive Ridley” (Tortue Olivâtre).
Elle est petite, sûrement jeune. Elle ne porte pas de badge métallique sur sa nageoire. Cela veut dire que c’est la première fois de la saison qu’elle vient pondre sur cette plage. Javi sort notre carnet-base de données et note : “L035”. C’est la 35ème Lora de la saison. Comme il est de coutume de donner un nom propre à chacune des tortues, nous décidons de la baptiser Olympe.
L035 creuse un premier nid, mais elle butte sur des cailloux. On voit bien que c’est une débutante. Sa manière d’utiliser ses nageoires est gauche et mal coordonnée. Elle décide d’aller ailleurs, puis revient sans raison au premier endroit. Elle rebute sur les mêmes pierres. Je suis désolée pour elle, j’aimerai pouvoir l’aider… Elle choisit un autre endroit. Mauvaise pioche encore. Cette fois son nid est trop près de la mer. La marée montante risquerait de noyer les oeufs avant qu’ils n’aient le temps d’éclore (NB: en moyenne un nid met deux mois à éclore).
Nous allons opérer une “relocation”. Je me place derrière elle, et son nid enfin creusé, en attendant fiévreusement qu’elle commence à pondre.
Il s’agit de récupérer un par un les œufs blancs et mous qui sortent de son cloaque pour les déposer dans un grand sac plastique. Le mélange des odeur de marée et de parties intimes me prend au nez. J’ai l’impression d’être un braconnier volant lâchement les oeufs d’une tortue sans défense pour les vendre au marché noir (pratique malheureusement encore trop répandue sur la côte Caraïbes du Costa Rica…)
Quand elle a terminé, elle entame la danse caractéristique des Lora. Elle tasse le sable par dessus son nid (vide… sic) en donnant des coups de ventre vigoureux. Elle se balance de tout son poids d’un côté puis de l’autre pendant de longues secondes. J’observe fascinée ces mouvements mi-gracieux mi-lourdauds. Les gestes de l’instinct sont sidérants.
Un peu plus loin, nous creusons un trou de profondeur équivalente (40cm) en prenant soin de reproduire le design du nid original: les bords plus larges au fond pour créer la chambres des oeufs. Je dépose un à un et avec le plus grand soin 100 petits œufs encore tous chauds dedans. Je rebouche avec l’échantillon de sable récupéré, et tasse vigoureusement le tout.
A défaut de me jeter à plat ventre sur le nid, je m’efforce de reproduire le tassement de la Lora. Peut-être que les œufs ressentent cette vibration et qu’elle est capitale pour leur développement? Nous ne saurons jamais combien de bébé survivront dans ce nid car il éclora quand la saison sera finie. Il n’y aura plus personne pour l’excaver et compter les coquilles vides ou encore pleines… Mais je fais soudain le calcul, et coïncidence je ne crois pas, les bébés naîtront dans deux mois, soit début avril, à quelques jours à peine de ma date d’anniversaire!
-PS: Il est interdit de prendre des photos pendant les patrouilles de nuit pour ne pas effrayer les tortues. Les photos de cet article ont donc été prises de jour.
Plus:
> Site web du Leatherback Trust
> Brochure de présentation du Campo Cabuyal – A Sea Turtle Biology Training Camp