Un mois sans internet, frigo ni téléphone

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Une frugalité heureuse

Au Campo Cabuyal, où passent 6 mois de l’année les étudiants en biologie qui protègent les tortues du nord de la côte Pacifique, le confort est strictement minimum. J’y ai passé un mois et cette expérience a été profondément riche en apprentissages et en connections.

Le confort moderne de l’ère industrielle nous a habitué à avoir tout à disposition: lumière, eau, wifi, chauffage, électricité. Nous sommes tuyautés de tous bouts. Malgré tous les avantages indéniables de cette vie appareillée, elle nous éloigne de notre vie esthétique, faite de sensations premières et de plaisirs simples.

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Ici, il y a l’eau courante et même chaude. 3 ampoules qui marchent à l’énergie solaire. Des grenouilles dans la douche. Et des moustiquaires aux murs. Il y a une gazinière, mais pas de frigidaire. A la place, une glaciaire remplie de sacs de glace permet de garder au frais les aliments pendant au moins 2 jours.

Pas un poil de signal téléphonique, on est dans la pampa profonde. Et évidemment pas d’internet non plus. Digital detox en avant. Ce camp perdu dans la nature devient mon élément. Je plonge dans cette forme d’ascèse qui amplifie les sensations et supprime l’impatience ou les frustrations engendrées par le digital.

Les moyens rudimentaires du camp sont le reflet des maigres budgets alloués à la recherche scientifique sur le terrain. Il n’empêche qu’au pays de la « Pura Vida », personne ne semble malheureux de vivre dans ce confort frugal. On y a moins, mais on y vit plus.

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Ne rien faire, profiter

Sans sollicitation extérieure, on vit au rythme du soleil et de la nuit, à la recherche de l’ombre, à l’écoute des oiseaux et des odeurs. Presque comme dans un couvent, la cadence ponctuelle des repas cadre la journée, allant crescendo et decrescendo avec la chaleur. On lit des livres laissés là, on regarde danser les branches, on joue à des jeux de société. On lave ses habits dans la glacière trouée, et ils sèchent en moins de deux sous le soleil de plomb. On écrit, on dessine. On se connecte avec les gens, avec les éléments naturels, les sons, les odeurs, et son propre rythme biologique.  

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On écoute fureter bruyamment les iguanes, il y en a partout. Dans les herbes sèches, sur le poulailler, près de la poubelle organique, le long des murs en filet, et sous le plafond du couloir. On cohabite pleinement avec eux, comme avec les mygales, les guêpes, les scorpions, les grenouilles et les perroquets qui occupent ce terrain. Les guêpes s’approvisionnent en eau quand nous faisons la vaisselle et les grenouilles prennent des douches en même temps.

L’aube est signalée chaque matin par des chants d’oiseaux rythmiques et exubérants. Le soir tombé, on respire les odeurs de jasmin qui envahissent l’air. On se laisse balancer mollement dans le hamac, le corps bercé dans le vide, en attendant le dîner. Les yeux dans le vague, on laisse le temps filer, la chaleur monter, les couleurs palpiter, les oiseaux chanter, les insectes voler, la mer gronder.

« Spending time in the natural world seems to be of “vital importance” to “effective cognitive functioning. – The Shallows, What the internet is doing to our brains, Nicholas Carr, 2011

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Ce qu’internet fait à nos cerveaux

Une fois par semaine une équipe va en ville, à Liberia, pour faire les courses. Il y a 4 places dans le pick-up. Ce qui pourrait apparaître comme une tâche fastidieuse est très désirée, car l’équipe retenue aura le privilège de passer quelques heures à Donde Pipe, un restaurant climatisé avec eau fraîche et wifi, deux éléments faisant cruellement défaut au camp. 

Tous les 15 jours, chacun est autorisé à reconnecter avec la civilisation en ligne, à binge-poster et binge-consommer des news sur les réseaux sociaux. Lorsque vient mon tour, je réalise à quel point internet ne m’a pas manqué. C’est sidérant le temps qui nous est volé, ou plutôt, que nous gaspillons sciemment. A regarder des images, à réagir aux notifications, à s’abreuver de scrolls infinis. 

Je repense au label « Time well spent » lancé par d’anciens ingénieurs repentis de la Silicon Valley. L’économie de l’attention prend tout son sens. Après 1h30 de messages répondus et de photos postées, je sors prendre l’air et réalise brusquement que je suis en tachycardie intense… C’est donc cela que fait la connexion permanente et simultanée à notre corps et à notre esprit? Je n’ai qu’une hâte, rentrer au camp et me lover dans la douce et lente torpeur des jours déconnectés. 


« Our ability to engage in “meditative thinking” which Martin Heidegger saw at the very essence of our humanity, might become a victim of headlong progress. “The frenziedness of technology”, Heidegger wrote, threatens to “entrench itself everywhere.” It may be that we are now entering the final stage of that entrenchment. We are welcoming the frenziedness into our souls. »

– The Shallows, What the internet is doing to our brains, Nicholas Carr, 2011

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Plus:

> Mon article: « Playa Cabuyal: sauver les tortues sur la côte Pacifique »

> Mon article: « Une patrouille de nuit Playa Cabuyal »

> Le livre de Nicholas Carr: « The Shallows, What the internet is doing to our brains”, WW Norton, 2011

> Le TED Talk de Tristan Harris, fondateur du label « Time Well Spent » + quelques conseils pratiques pour ne pas laisser son smartphone envahir sa vie

Une réflexion sur “Un mois sans internet, frigo ni téléphone

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