Du carrelage pour les morts

jean-pierre-raynaud_web.jpg(Read the English article) « La Maison », Jean-Pierre Raynaud

Le bus quitte San José (la capitale du Costa Rica) et se dirige vers Playa Hermosa. Nous nous arrêtons quelques temps à côté d’un cimetière. Je jette un oeil par la fenêtre et découvre un paysage inattendu. 

Ici les cimetières sont peuplés de tombes carrelées en blanc intégral. Du carrelage de cuisine, ou de salle de bain, avec des gros joints noirs (très tendance cela dit dans le design intérieur en ce moment).

 

(Crédit photo: Mary Farmer)

L’utilisation du carrelage blanc immaculé donne une dimension hygiéniste étrange au lieu. Je ne peux m’empêcher de penser à l’installation « La Maison » de Jean-Pierre Raynaud que j’avais vue en 1993 (j’avais donc 8 ans) au CAPC de Bordeaux, et qui m’avait complètement fascinée. L’artiste avait entièrement recouvert sa maison à La Celle-Saint-Cloud de carrelage blanc, s’était enfermé dedans pendant plusieurs années ; puis l’avait entièrement détruite, mise en morceaux dans des petits seaux en métal.

J’apprends sur Wikipédia que Jean-Pierre Raynaud a un diplôme d’horticulture… C’est le genre de coïncidences que j’aime. Je reprends mes rêveries sur les tombes carrelées. Elles pourraient aussi être des émergences du « Monument Continu » de Superstudio devenu réalité au Costa Rica… Oh oui, amen.

Isla Cabuya, cimetière insulaire

Quelques semaines plus tard, j’explore la péninsule de Nicoya sur la côte pacifique. Quelqu’un me parle d’une île-cimetière nommée Cabuya, à seulement 7km d’ici. Parfait j’y vais, ça ne prendra que…. 25 minutes en bus. Il faut dire que la route est minuscule et sinue le longs d’arbres plutôt géants!

L’ile de Cabuya est la seule île à être utilisée en tant que cimetière au Costa Rica. Certaines rumeurs disent qu’elle aurait pu être un lieu de sépultures précolombiennes.

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La marée est complètement basse quand j’arrive. L’eau s’est retirée autour de l’ile et dégage un large chemin de pierres et de coquillages. Les bateaux de pêcheurs sont échoués dans la chaleur, les vautours veillent.

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Au milieu des succulents géants, un arche blanc maçonné s’élève entre le bleu de la mer et du ciel. On se croirait dans un décor de Tarantino.

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Je découvre une par une les tombes à l’ombre des palmiers et des bananiers. Leur revêtement carrelé semble presque les tenir au frais… Les silhouettes de différents feuillages se découpent sur des trames bleues pâles, marrons, verts d’eau et blanches.

L’ambiance est tout sauf morbide. Tout est très paisible, accueillant et lumineux. On est à mi-chemin entre la plage et le jardin public… Une famille se promène, des enfants jouent, je pique-nique assise entre les tombes.

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Une fois entourée de toutes parts par la mer, on doit se sentir bien loin de tout sur cette île… Je murmure: “Enterrez-moi ici.” Oui, sous les palmiers, ça me dirait.

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D’autres tombes sont faites de matériaux naturels: sable, coquillages, branches de palmier séchées. Certaines sont agrémentées de cailloux peints, ou même d’une hélice d’avion. 

L’upcycling a aussi de l’avenir dans les cimetières.

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Une mort durable

J’ai découvert Caitlin Doughty, aka: la croque-mort la plus cool et la plus renseignée sur l’écologie de l’industrie funéraire. Je vous conseille de regarder son TED Talk. Elle questionne sans tabou l’impact environnemental de nos pratiques mortuaires contemporaines, et propose des alternatives assez radicales.  

« What if we re-designed the funeral industry for an eco-friendly death? » 

Au Costa Rica, j’apprends que l’embaumement est très peu pratiqué car coûtant trop cher. Ce n’est donc pas dans les coutumes d’embaumer les morts. Alors que dans les pays occidentaux c’est quasiment incontournable.

Embaumer consiste à remplacer le sang du corps par du formaldéhyde, un produit chimique (cancérigène au passage). Ce produit chimique permet de conserver l’aspect du corps défunt. Il s’agit d’éviter à tout prix la décomposition et le pourrissement naturels (qui sont la fin commune de toute vie organique sur notre planète.) Puis on enfouit dans une fosse de béton un cercueil de métal ou de bois, participant ainsi une ultime fois au gaspillage affolant de nos ressources. Notez bien que jamais un seul verre de terre ne sera nourri ainsi…

Bref, on est bien loin des enterrements à ciels ouverts pratiqués au Tibet. « L’inhumation céleste » consiste à offrir dans un rituel le corps du défunt à manger aux vautours. (Caitlin Doughty dit « j’ai mangé des animaux toute ma vie, je peux bien leur rendre la pareille!« ) Et si l’on pouvait nourrir un peu la planète en mourant, plutôt que de la polluer une dernière fois. Redevenir poussière ou compost.

Via son mouvement « Order of the Good Death », Caitlin Doughty promeut les « cimetières de conservation. » Certains existent aux Etats-Unis, au Canada et en Angleterre. On n’y trouve peu ou pas de stèles. Les corps sont enterrés à même le sol. Ils se décomposent naturellement et nourrissent le sol. Enterrer des corps sur un terrain permet de le protéger contre de futures constructions. A la place, on peut recréer des écosystèmes locaux, qui sont des habitats pour la biodiversité aussi bien que des espaces publics pour les humains.

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Des modes de vie plus durables impliquent inévitablement des modes de mourir plus durables. Ce qui est excitant, c’est que nous avons la liberté d’imaginer d’autres d’alternatives aux pratiques actuelles, et d’inventer les nouveaux rituels et lieux qui iront avec! (… le métier de designer funéraire vient de faire un bond dans ma « dream jobs list »)

Plus:

-Caitlin Doughty: Order of the good deathWelcome to your mortality 

-Le documentaire sur le green burial: « A will for the woods »

L’émission La Tête au Carré de France Inter : « Funérailles et écologie sont-elles compatibles ? »

Soil instead of ashes : Human Composting Is About To Become Legal In Washington State

-Mon article: « Transe sonore sous San Pedro »

-Mon article: « 1 mois sans internet, frigo ni téléphone »

-Mon article: « Mon voisin le volcan Arenal »

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