(Read the English article)
Le bus me dépose au bord de la route devant le signe en bois de la Finca Inti. Je monte le sac sur le dos dans une jungle escarpée entre les plantes et les fleurs tropicales. Je suis en nage et en excitation à l’idée de découvrir ce qu’il y a en haut de cette colline surplombant la côte Caraïbes du Costa Rica.
Médecines de la jungle
Je rencontre Ryan, dans la première maison, torse nu et cheveux longs. C’est un écossais enthousiaste de 27 ans qui habite ici depuis quelques mois avec sa petite amie prof de yoga. Il ne se nourrit plus que de noix de coco et de fruits. C’est un véritable apprenti sorcier fasciné par les plantes et leur pouvoir purificateur. Il veut tout essayer: kombo, rapé, sananga, ayahuasca… Je découvre tout un monde de médecines naturelles inconnues.
Un matin, nous le regardons prendre du Kombo. C’est un vaccin de la jungle à base de venin de grenouille qui reboote le système immunitaire et laisse des rangées de petits points noirs sur l’épaule. Il vomit et se purge pendant plus d’une heure. Les gens qui prennent du Kombo décrivent tous la même chose: d’abord on se sent très mal, on a l’impression que l’on va mourir, et puis ça s’en va, et on se sent infiniment léger et soulagé.
Ce traitement en cures ponctuelles guérirait problèmes cardiaques, hypertension artérielle et problèmes gastro-intestinaux. On examine tous ensemble la couleur de sa purge (NB: à ce moment là, cette activité semble normale…) Quand le vomi est jaune, on a craché sa peur, affirme Tristan; quand il est rouge c’est sa colère qu’on expulse.
N’étant pas prête à me soumettre à une expérience aussi intense, je me contente de tester le rapé (à proncer « ha-pé »): un remède sacré utilisé par les tribus amazoniennes. Une poudre fabriquée à partir de plantes, de racines ou d’écorces est soufflée profondément dans les narines via une pipe en bois en forme de V (« Kuripe ») tenue par le shaman. Ce remède est utilisé pour aider à se concentrer et aiguiser l’esprit. Cela nettoierait notre champ énergétique mais aussi nos sinus, détoxifiant ainsi corps et esprit.
Savoirs aborigènes
Sous le toit de la terrasse, je joue avec Nadja, 9 ans, polyglotte et cuisinière. Je l’aide à trouver des idées pour son jeu de tarot « home-made » qui dévoile des vérités naturelles absolues. Lucioles, loup, dauphins et graines ont tous un message à nous délivrer… Je la regarde marcher sous la pluie sous son parapluie rose fleuri avec sa robe et ses tongs. Un vrai personnage de manga tropical. Elle me fait découvrir des insectes volants lumineux. Cette fois c’est sûr, on est dans un Miyazaki.
Dans la communauté de la jungle, on discute autosuffisance agricole, chaînes ADN en 3D et projets de reforestation. On évoque les retraites silencieuses, les ressentis universels post-sexe, les cycles féminins, l’empathie sociale, et même la composition chimique des larmes selon les émotions qu’elles lavent. C’est ésotérique et éclectique à souhait, ça me parle!
Chaque soir, je me laisse envelopper par les concertos privés que donnent joyeusement les grenouilles, les oiseaux et les grillons. Je reconnais petit à petit les différents musiciens: l’oiseau qui crache, la grenouille qui émet un signal électrique, les grillons qui font crisser leurs ailes humides. Je regarde le soleil filtrer à travers la jungle. Il est 16:30, je bois la golden hour depuis le banc de ma terrasse.
Cérémonie au San Pedro
Nous montons au mirador dans l’après midi pour faire une cérémonie. Le San Pedro est une poudre de cactus venue des Andes, de la même famille que le Peyote. Nous sommes 6. Tristan ouvre la marche avec son sac de shaman, ses cheveux longs et sa machette.
On installe les tentures au sol et les grigris: coquillages, instruments de musique, pierres énergétiques et sauge à brûler. On allume le feu, puis avalons chacun à notre tour une cuillerée de pâte verte amère.
Une heure passe…
Nous avons soudain tous envie de jouer de la musique. On se met à caresser les instruments et leurs textures pour ressentir leurs vibrations dans nos corps. Nous saluons le coucher du soleil par une transe musicale collective improvisée. On joue pendant plusieurs heures. J’entre dans une connection vibratoire intense et jubilatoire. J’absorbe l’écho sourd et granuleux du tambour chamanique, les ressacs secs et légers des percussions, le frétillement chaloupé de la maracas, le souffle sourd de l’harmonica.
La lune se lève et éclaire entre les arbres comme un projecteur. Des insectes lumineux volent dans la nuit de velours. On se fascine pour le son du bol tibétain, émerveillés par les vibrations rondes et ondulantes de l’univers. Je m’assois près du buisson doré et joue de l’harmonica pendant une heure. J’explore mon souffle qui devient son. Chaque inspiration et expiration produisant une mélodie renouvelée.
Tard dans la nuit, nous rentrons à la cuisine pour manger un peu et danser joyeusement avant d’aller se coucher. Le lendemain matin, Tristan me fait découvrir les musiques de cérémonie d’ayahuasca, celle-ci me plait particulièrement.
Dans la série des fascinations contemporaines pour les cérémonies, le tribal, les rituels et les cultes en tous genres, je vous conseille de lire « La Conjuration » de Philippe Vasset, une épopée dans les zones blanches de l’Ile-de-France à la recherche de nouvelles trajectoires et modes de vie ❤
« J’ai créé une secte. C’était, au départ, une entreprise purement commerciale. Jusqu’à ce que j’y prenne goût: fonder une religion est la dernière oeuvre possible. »
-Philippe Vasset, La Conjuration
Plus:
– Mon article: « Un mois sans internet, frigo ni téléphone »
– Mon article: « Cuisiner au jardin d’Eden »
– Un article passionnant qui relate une première expérience sous ayahuasca