Pourquoi vivre en communauté? 2/3

Du Néolithique aux Native Americans, les tribus du monde entier étaient organisées en communautés pour se nourrir, se loger, s’occuper des enfants, fabriquer des biens, s’instruire et se divertir. L’invention de l’agriculture a bouleversé la vie nomade des chasseurs-cueilleurs. Les collectifs se sont sédentarisés. Ils ont commencé à domestiquer les plantes, sauvant les meilleures graines pour la prochaine saison ; améliorant leurs techniques pour les transmettre aux générations futures. 

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(Read in english)

Au Moyen-âge, les maisonnées accueillaient généralement un mélange d’amis, d’étrangers de passage et de membres de la famille élargie : « des couples mariés pauvres, des enfants d’autres personnes, des veuves, des orphelins, des personnes âgées sans lien de parenté, des domestiques, des pensionnaires et des visiteurs de longue date. » Les gens habitaient ensemble et dépendaient les uns des autres. C’était une époque on l’on se déplaçait souvent et changeait constamment de maisons. 

«Chez soi, c’était un endroit qui vous abritait sur le moment, non un endroit privilégié associé à l’enfance ou à la famille.» – John Gillis, A World of Their Own Making: Myth, Ritual, and the Quest for Family Values

Si l’image de la vie en communauté correspond bien à notre vision du Moyen-Age, il ne faut pas oublier que ce mode de vie était la norme jusqu’à la Révolution Industrielle. Après la seconde guerre mondiale, ce modèle a disparu dans les pays développés. Il a été remplacée par l’idéal de la maison du bonheur, centrée sur les intérêts de la cellule familiale. En moins d’un siècle, le ratio de personnes habitant sous un même toit a radicalement chuté. Aujourd’hui, 1/3 des ménages aux Etats-Unis ne compte qu’une seule personne.

On entend « les inégalités se creusent ». Il est clair que nous sommes dans une situation de déséquilibre où certains possèdent vraiment trop, et d’autres vraiment pas assez.  Pourtant les ressources existent. Il s’agit de mieux les produire, et de mieux les répartir.  

2. Pour être plus riches 

Je trouve stupide que certaines personnes vivent seules, payent seules leur factures et achètent des choses inutiles. Tout comme je trouve triste que d’autres se sentent isolées ou abandonnées, quand elles pourraient se sentir aimées et supportées. Il me semble que c’est une forme de misère émotionnelle qui a été inventée, dans les sociétés riches, par le capitalisme.

Vivre en communauté c’est mettre en commun : de l’espace, du temps, des ressources. On économise en frais d’électricité, d’internet ou de courses, on partage des outils et des appareils ménagers, et l’on se répartit les tâches de ménage ou de cuisine. Après ces expériences de Wwoofing et de worktrade, mon rêve est de vivre dans une ferme communautaire pour pouvoir cultiver ma propre nourriture et m’occuper d’art, de plantes et d’animaux ; mais aussi pour pouvoir voyager et laisser la ferme fonctionner quelques temps grâce au relai des personnes formant la communauté. Et rendre ensuite la pareille sous forme d’échange. 

Quand on gère une ferme tout seul, on est enchaîné à la terre et aux bêtes, et on manque souvent de main d’oeuvre. L’organisation d’une ferme autour d’une communauté permettrait d’améliorer les pénibles conditions de vie actuelles des agriculteurs.

« La vie en communauté ne constitue pas une rupture avec la tradition, mais plutôt un retour à la façon dont les humains ont conçu leur habitat depuis des milliers d’années. » (article)

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Capture d'écran 2019-05-09 20.21.53.pngCommunauté de femmes : une peinture du Moyen-Age / des mères célibataires rassemblées par le site CoAbode

L’idée du foyer centré sur le couple et les enfants a fait son apparition dans la nouvelle classe moyenne urbaine du XVIème siècle, en tant qu’un idéal à atteindre. Ce n’est qu’au XIXème siècle que l’on a commencé à établir une distinction nette entre famille et amis en ce qui concernaient les personnes avec lesquelles vivre. Le foyer s’est ainsi resserré sur la sacro-sainte famille nucléaire, s’isolant des parents et des voisins.

C’est l’industrialisation qui a démantelé la vie en communauté… Elle a rendu obsolètes les réseaux de troc et de partage qui faisaient fonctionner le monde rural. Lorsque les sociétés étaient principalement agricoles, la production était locale, concentrée à proximité de la maison. Les familles travaillaient sur place et collaboraient entre fermes. A mesure que l’industrialisation a produit de nouveaux métiers, dans les usines puis dans les bureaux, les fermes se sont vidées.

Quelque chose de commun a été perdu en chemin.

« Vivre en petit nombre peut représenter une perte de temps, d’argent et de sentiment de communauté. La montée en puissance des ménages où les deux parents travaillent n’a fait qu’aggraver les problèmes de manque de temps. » (article)

Habiter en communauté est pour moi un moyen de tendre vers une vie plus équilibrée sur le plan biologique et sur le plan économique : travailler moins, vivre plus, partager, cultiver, échanger, fabriquer, réparer, s’entraider.

Imaginez : cuisiner avec vos voisins dans une grande cuisine commune, jouer avec un groupe d’enfants dans le salon, et bricoler dans la grange avec les ainés et les passionnés. Chacun choisissant les moments où il se retire dans sa sphère privée, et les moments où il interagit avec les autres membres de la communauté.

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Cela ouvre de pistes excitantes pour les architectes, designers et urbanistes. Les quartiers pourraient devenir de micro-villages où chacun possède un espace privé (un appartement, une tiny house, un dôme géodésique…) et partage les espaces communs, des plus basiques (cuisine, salon, salles de bain, espaces extérieurs) aux plus excentriques (salle de yoga, makerspace, verger, studio d’artistes, piscine, skate park, sauna…)

Les plus

  • Cuisiner moins souvent et mieux. Au lieu de cuisiner tous les soirs de la semaine, les habitants cuisinent en général un soir par semaine avec l’aide d’autres. Bien sûr, cuisiner pour 15 ou 40 personnes, ce n’est pas la même chose que pour deux! Cela prend au moins deux heures de travail intense, mais c’est l’occasion de tester des recettes et d’apprendre des choses de ses voisins. Tous les autres soirs de la semaine, c’est le restaurant à la maison. On met les pieds sous la table quand la cloche sonne, youpi!
  • Plus d’espaces. La sphère domestique n’est plus seulement confinée au petit chez-soi coupé du monde, elle s’étend à tous les espaces communs. L’on peut habiter temporairement différents micro-espaces de la communauté : un banc et une table dehors, un pied d’arbre à l’ombre ou un salon miraculeusement vide.
  • Frais partagés. A plusieurs on peut acheter des grandes quantités de nourriture, et payer ainsi moins chers des produits de meilleure qualité. Par exemple, dans l’une des communautés que nous avons expérimentée ils payent 200$ par personne et par mois pour toute la nourriture (petits-déjeuners, déjeuners et diners). Les factures d’eau, électricité, gaz et internet sont aussi partagées entre tous les membres.
  • Avoir plus / jeter moins. Le fait d’avoir des frigos communautaires permet de conserver de grandes quantités dans lesquelles tout le monde peut piocher. Cela permet aussi de jeter moins de nourriture. Et il y a toujours quelqu’un qui aura la douce attention de laisser des fruits, des fleurs ou un gâteau sur la table commune pour qui voudra 🙂
  • Garde partagée et augmentée. Le proverbe dit « il faut tout un village pour élever un enfant« . Dans une communauté, la présence de plusieurs enfants permet d’alléger les responsabilités des parents, qui peuvent s’appuyer sur un large groupe d’adultes et d’autres parents partageant leurs problématiques. Une seule baby-sitter suffit pour s’occuper d’un groupe d’enfants, sachant qu’ils sont d’autant plus indépendants et faciles à garder quand ils sont en groupe.
  • Réseau de confiance. Habiter avec des gens et partager les mêmes espaces au quotidien (parfois même en pyjama) permet de tisser des liens basés sur la solidarité et la bienveillance. On s’entraide et on échange des services sans avoir recours à l’argent. De plus si quelqu’un est malade ou traverse une mauvaise passe, il y aura toujours quelqu’un pour prendre des nouvelles ou leur porter leur repas.

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Les moins

  • La perte d’intimité. Quand on vit en communauté, on expérimente forcément moins d’espace à soi, et il peut sembler difficile de protéger sa vie privée. Dur de ne pas s’engueuler devant tout le monde dans la cuisine… C’est pour ça qu’il est important que l’espace privé puisse accueillir un salon et une petite cuisine pour les moment où l’on veut juste être chez soi.  
  • Un flot d’énergies multiples et constantes. C’est un mode de vie où l’on interagit sans cesse avec les énergies des autres personnes, leurs émotions, leur caractère, les évènements de leur vie… On finit par développer une relation et un passif avec chacun(e). Et l’on peut avoir le sentiment que c’est énergétiquement épuisant ou pas possible.  Il faut savoir s’écouter et se mettre en retrait par moments. 
  • Les défis de l’auto-organisation. Il faut se méfier du rêve « lune de miel. » Une communauté intentionnelle réussie se structure autour d’une vision claire et d’objectif communs. Il est nécessaire d’établir des règles et des processus de décision, d’écrire des accords clairs comme d’assister à des réunions, et de s’assurer du bon équilibre des rôles et des talents au sein du groupe d’habitants. On peut vite se laisser griser par des promesses en l’air qui généreront de l’amertume. Il faut que chacun se sente impliqué et solidaire pour que la synergie puisse opérer. Ainsi que réussir à communiquer de manière non violente sur des conflits et cultiver des moments privilégiés dans la communauté

 

Il y a d’autres façons d’habiter que celle mainstream de la cellule familiale nucléaire (…décidément il est temps d’abolir le nucléaire). Le consumérisme invite chacun à posséder des grandes quantités à peine utilisées. Certains ont des jardins ou des villas secondaires mais ne s’en servent que rarement. D’autres doivent payer des fortunes pour aller en maison de retraite et tenter de vieillir dignement. Nous vivons à l’époque d’un grand gâchis organisé des ressources. 

La vie en communauté s’inscrit dans l’économie du partage. Elle est un modèle d’entraide et de coopération. C’est un moyen de contrer le système capitaliste qui divise tout en plus petites part de marché pour maximiser les profits. Faire partie d’un groupe nous rend plus riches, plus forts et plus résilients.

En revanche ce n’est pas toujours un long fleuve tranquille ! Les règles se heurtent aux personnalités. Les humeurs fluctuent dans une dynamique de groupe qui est en perpétuel mouvement. C’est un mode de vie à choisir consciemment. Il implique une sérieuse introspection de son rapport à soi et aux autres. C’est le sujet du dernier article de cette trilogie.

❤ J’aimerai beaucoup lire vos retours. Est-ce un mode de vie qui vous attire? Pourquoi? Connaissez-vous des gens qui vivent en communautés? Quels sont les retours que vous avez de ces personnes?

Merci d’avance de contribuer à cette enquête anthropologique ❤

 

Plus 

-Episode précédent: Pourquoi vivre en communauté ? 1/3

-Episode suivant: Pourquoi vivre en communauté ? 3/3

-« The Hot New Millennial Housing Trend Is a Repeat of the Middle Ages », The Atlantic, 

-« Dorms for Grownups: A Solution for Lonely Millennials?« , The Atlantic, 

-« Danemark: la nouvelle tendance. Vieillir entre amis plutôt qu’en maison de retraite », 26/09/2018

-« The future of aging just might be in Margaritaville », The New York Times Magazine, Kim Tingley

-Video: « Practical tools to grow intentional communities » (… un peu boring mais il y a de bons conseils à prendre)

Creating Community Wherever You Are: Deepening Our Connections and Feelings of Belonging in a Fast-Paced World, Deanna Jaya Nakosteen, 2018

 

2 réflexions sur “Pourquoi vivre en communauté? 2/3

  1. Bonjour, J’adhère au principe. Je n’ai qu’à de rares occasions, pu participer à de telles expériences. J’en garde un souvenir mixte, non pas que les intentions et pratiques ne soient pas louables et en accord avec mes aspirations humanistes et écologiques, mais, le problème venait de moi. De cette diffuclté à se sentir à l’aise avec d’autre personnes qui sont défférents sur de nombreux points, culturellement, émotionnellement… je me retrouve donc face à un paradoxe : je souahite ardemment participer à l’élaboration d’une nouvelle façon de vivre en respect des cycles naturels de la planète, et je pense que la vie en communauté est un horizon plein de promesses, mais d’un autre côté, je sens bien que ma personnalité solitaire et plutôt contemplative, trouvera difficilement sa place et ses « temps de recharge » aisément au milieu de personnalités souvent fortes, extraverties et manuelles…

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