Aujourd’hui plus qu’hier, je suis convaincue que la vie en communauté est faite pour moi. Et aussi pour beaucoup d’autres qui ne le savent peut-être pas encore !
Dans les deux articles précédents de cette série, j’ai examiné différentes raisons pour lesquelles choisir ce mode de vie. Ici pour choisir sa tribu, et là pour être plus riches. Ces organisations humaines que l’on nomme aussi « communautés intentionnelles » ont énormément d’avenir selon moi. Autant sur le plan humain, qu’écologique et économique.
The Foundation for Intentional Community définit ainsi ce qu’est une communauté intentionnelle : « A group of people who have chosen to work together in pursuit of a common ideal or vision. Most, though not all, share land or housing. Intentional communities come in all shapes and sizes, and display amazing diversity in their common values, which may be social, economic, spiritual, political, and/or ecological. Some are rural, some urban. »
Une autre bonne raison selon moi de vivre en communauté est de mieux se connaître. Quand on s’ouvre à partager son quotidien avec des gens qui ne sont ni nos époux, ni nos enfants, ni nos parents, nous explorons de nouvelles facettes de notre intelligence émotionnelle et relationnelle.
Dreamweaver Sanctuary, Crestone, Colorado
3 – Pour mieux se connaître
SOI – La vie en groupe est un prisme que je trouve passionnant pour explorer les différentes dimensions de son rapport à soi et aux autres. Elle me permet de mettre en perspective ma personnalité et de confronter mon égo à la diversité de celui des autres. Interagir avec autrui dans les tâches les plus banales de la vie domestique m’oblige à me confronter à moi-même, à réfléchir à mon degré de générosité, de tolérance ou de bienveillance. Et aussi à l’énergie que je dégage malgré moi et à l’influence qu’elle a sur les autres et le groupe.
Chaque personne a ses habitudes, ses règles et des idées préconçues sur comment faire les choses. Le fait de vivre ensemble nous oblige à nous en rendre compte et à décider si celles-ci sont importantes ou non. Les différents peuvent arriver vite via des choses toutes bêtes, comme ranger la vaisselle ou enlever ses chaussures. Mais ces petites choses sont autant d’occasions de devenir plus clairvoyant sur nos mécanismes intimes.
Pour éviter les conflits à répétition, beaucoup de communautés forment leurs membres à des techniques de communication non-violente. La clé de cette communication -que l’on appelle aussi « consciente »- réside dans le fait de distinguer 4 étapes.
- D’abord, on fait une observation,
- puis on nomme son émotion,
- puis on formule un besoin,
- et enfin on fait une demande claire à son interlocuteur.
Cela donnerait : « Tu n’as pas lavé la vaisselle que tu as utilisée. Cela me met en colère car je trouve que c’est un manque de respect pour ceux qui partagent la cuisine avec toi. J’ai besoin de sentir que tu t’impliques autant que les autres dans les tâches ménagères. Pourrais-tu dorénavant laver ta vaisselle directement après que tu l’as utilisée ? » Pour que cela marche dans les deux sens, il faut évidemment que les deux personnes jouent le jeu de l’honnêteté et de l’empathie.
Drapeaux tibétains sur les collines de Crestone, Colorado
LE COUPLE – Si nous souhaitons réellement changer notre système de gouvernance et nos modes de vie, il est urgent de questionner le modèle de la cellule parentale (papa, maman, enfant-s). Cette norme sociale individualisante s’est développée de pair avec la société de consommation car la fragmentation des consommateurs est la recette gagnante du capitalisme. Au-delà de cette norme sociale, comment construire une vie de famille authentique sans se laisser enfermer dans des carcans préétablis ?
Je me demande de plus en plus pourquoi les couples devraient vivre isolés. Et pourquoi devrait-on faire à manger tous les soirs avec et pour la même personne ? Après tout, Brandon et moi nous sommes rencontrés grâce à la vie en communauté : dans un camp de protection des tortues marines à Cabuyal ❤. Nous vivions à 12 dans une casita rudimentaire, partagions les chambres, les repas, les patrouilles et les fous-rires tous ensemble. Et c’est comme ça que j’ai envie de rêver ma vie de famille, dans un joyeux kiboutz multi-culturel et multi-générations.
Vivre avec un groupe de personnes permet d’échanger sur des sujets divers au quotidien, d’apprendre du point de vue des autres, et nous pousse à exprimer le nôtre. Vivre avec d’autres couples, cuisiner avec d’autres gens, regarder d’autres parents élever leurs enfants et voir d’autres personnes vieillir sont de formidables opportunités pour élargir son champ de référence (le plus souvent réduit à nos parents, notre éducation ou notre famille). Il me semble aussi que les rapports hommes-femmes sont plus égalitaires et harmonieux dans une communauté ; les rôles s’échangeant d’autant plus facilement quand les tâches ménagères sont partagées de manière égale et transparente entre tous.
Brandon et Benoît en train de faire de la confiture dans la cuisine commune de la Lavra, Californie
Vivre à deux, dans un appartement ou une maison, limite clairement les interactions extérieures. Spécialiste de « l’intelligence érotique », la psychothérapeute Esther Perel compare ce mode vie à une situation de captivité dans son livre « Mating in Captivity ». Vivant isolés les uns des autres, nous avons tendance à faire peser toutes nos attentes et nos désirs sur un seul être : notre partenaire / conjoint(e). Cela s’avère en général mauvais pour l’équilibre des couples. Dans une communauté en revanche, il y a toujours une variété de gens à rencontrer et avec qui partager des activités, des discussions ou des envies. On peut aller avec l’une à un évènement et regarder avec l’autre une série, déchargeant ainsi son partenaire du poids de nos attentes.
LES ENFANTS – La vie en communauté dissout la famille nucléaire dans une tribu plus vaste. Le fait d’habiter avec d’autres parents qui élèvent leurs enfants nous invite à adopter un regard extérieur sur la façon dont nous élevons nos propres enfants. Cela permet aussi de créer un réseau d’entraide et de solidarité. Les parents peuvent faire garder leurs enfants ensemble, se relayer sur des tâches du quotidien ou tout simplement parler de sujets qui leur sont communs.
Pour les enfants c’est la possibilité de se faire des amis de différents âges, de jouer avec tout un groupe, et d’interagir avec un nombre beaucoup plus grand d’adultes. Dans une communauté, que l’on soit parent ou non, on vit avec des enfants que l’on aide et accompagne. Il y aura toujours quelqu’un pour répondre à leurs nombreuses questions et leur offrir différents points de vue sur le monde.
Le fameux proverbe africain « It takes a village to raise a child » se traduit selon différentes tribus par : « A child does not grow up only in a single home », « A child belongs not to one parent or home », ou encore « The child’s upbringing belongs to the community ».
« The Hopi Indians, their history and their culture » par Harry James, illustrations par Don Perceval
Pour ma part je n’ai pas encore d’enfants, mais je sais que lorsque j’en aurais ce sera en communauté. Je me dis aussi qu’habiter avec les enfants des autres, et s’en occuper de temps en temps, peut permettre à des personnes qui ne peuvent pas en avoir d’assouvir ce besoin, voire même conduire d’autres à se réinterroger sur leur désir d’avoir des enfants à eux ou pas.
« Vous les hommes blancs, vous n’aimez que les enfants qui viennent de votre corps, nous nous aimons tous les enfants de la tribu. » L’épisode « Monogamy » de la série Explained raconte très bien comment, dans les tribus amérindiennes, les enfants étaient à la charge de tous. Si un enfant pleurait, personne n’allait chercher sa mère pour le consoler. La personne d’à côté le prenait naturellement dans ses bras pour le consoler. La parentalité était naturellement partagée et communale.
Nous vieillirons ensemble
Plutôt que tous seuls… L’année dernière, nous avons aidé les grands-parents de Brandon à vider leur maison qu’ils devaient quitter malgré eux pour emménager en maison de retraite. Leur condition de santé rendait leur vie tous seuls bien trop dangereuse. Cette situation est devenue banale dans nos sociétés, mais elle continue de me briser le coeur à chaque fois. Je me suis souvent dit :
Pourquoi, au lieu de tout vider et tout vendre pour aller habiter avec des personnes âgées et esseulées, ne pourrait-on pas intégrer d’autres gens dans ce foyer et créer une communauté intergénérationnelle ? Sommes-nous réellement condamnés à ne vieillir qu’entre vieux ? Est-ce cela que nous nous souhaitons ?
Une invitation à plus de contact (que ce soit avec les plantes ou les humains !), The Lavra, Californie
Les maisons de retraite sont des lieux où l’on fait disparaître les aînés en attendant qu’ils meurent car plus personne n’a le temps de s’occuper d’eux. Ils sont relégués aux périphéries de la société, leurs prétendues sagesse et expérience ne « servant » plus à rien. Les liens familiaux se distendent et les traditions se perdent. Les études montrent clairement que la solitude et le déclin de la santé sont directement liés. Aux Etats-Unis, la moitié des personnes âgées se disent seules. La solitude est devenue une nouvelle crise de santé publique. Or il me semble que la vie en communauté a des solutions concrètes et joyeuses à proposer à cette crise.
« We are finally beginning to understand that just as it takes a village to raise a child, it takes a village to shepherd people through their golden years. » – article The New York Times
Dans ma vision idéale des choses -sur laquelle je travaille en ce moment 🙂 , nous habiterions tous dans des communautés synergiques plus ou moins grandes et bénéficierions d’un réseau d’entraide transgénérationnel et ultra local : un groupe de personnes sur qui compter et nous appuyer, mais aussi à qui rendre des services et faciliter la vie.
Etre un grand-parent actif et impliqué avec les enfants de la communauté est un rôle magnifique auquel toute vieille personne devrait avoir droit. Aller chercher les enfants après l’école, leur donner le goûter, ou les aider à travailler est une façon pour les aînés de transmettre aux générations futures. La vie en communauté réunit le grandir, le vieillir et le partage. Etre au contact d’enfants est un merveilleux antidote à l’ennui, à l’immobilité et à la mort. Rire, se sentir utile et partager de la tendresse sont des besoins humains essentiels à tout âge.
De douces attentions pour un anniversé, un matin dans la cuisine d’une communauté à Ojai, Californie
Si je m’interroge sur tout cela, c’est que cela va m’arriver aussi : je vais devenir vieille, et mes parents seront un jour trop vieux pour vivre seuls. Que devrais-je faire alors à ce moment là ? Les faire venir vivre avec moi ? Les aider à trouver une communauté qui leur plairait ? Les aider à monter une communauté dans laquelle prendre leur retraite ?
Anticiper en amont ces questions permet d’éviter la solution par défaut que représente aujourd’hui la maison de retraite. On entend malheureusement plus souvent parler de gens qui y décrépissent, que de gens qui s’y épanouissent 😦 De plus, elles coûtent atrocement cher (je ne vous parle même pas des prix aux Etats-Unis…). De moins en moins de personnes ont les moyens de se payer un loyer en maison de retraite, vieillissant seules et isolées, parfois dans des conditions épouvantables. La ségrégation économique se poursuit jusqu’à la mort.
Mais que l’on soit pauvre ou riche, quand on est retraité(e), on a du temps à partager et à donner. Ne plus être seulement en situation d’être servi(e) ou aidé(e), mais pouvoir servir et aider les autres à son tour est essentiel pour développer de véritables contacts humains.
To-do liste quotidienne, Dreamweaver Sanctuary, Crestone, Colorado
Comment vivre en communauté ?
Cette question est hautement politique car lorsque l’on vit en communauté, on échange bien autre chose que de la monnaie. On se rend des services, on partage des savoirs et on s’émancipe ensemble de la vulnérabilité que le système économique et social fait peser sur chacun de nous. J’ai beaucoup apprécié que Patrick Bouchain, parlant des habitats construits librement sur la ZAD de Notre Dame des Landes, dise :
“Habiter dans une cabane ce n’est pas être précaire, c’est au contraire être libre et échapper à cette précarité qui partout nous menace.” (conférence à l’ENSCI lors de la parution du livre Notre Dame des Landes ou Le métier de vivre : un relevé des cabanes et de l’organisation spatiale de la ZAD mené par des étudiants en architecture)
Comme le prouve de malheureux exemples de communautés, l’auto-organisation EST difficile. S’auto-gérer et inventer de nouvelles formes d’organisation collective sont un véritable challenge, pour nous qui sommes si habitués à ce que nos relations soient gérées et organisées par l’état, nos parents, la police, l’école ou le travail… Lors des journées portes ouvertes à l’écovillage Sainte Camelle (ps: ils recherchent d’ailleurs de nouveaux habitants si ça vous tente !), le sujet a occupé une bonne partie des discussions. Le plus dur c’est de réussir à faire tenir dans le temps une communauté de personnes. L’équilibre humain est un centre qu’il est très délicat de stabiliser. Je pense que ces challenges appellent les designers à inventer de nouveaux outils, processus et rituels au service de communautés qui seraient ainsi plus robuste et plus justes.
« Communities: they are not hippy playgrounds for kids who hate their parents. They are serious endeavors by committed activists who want to experiment with sustainable ways for humans to live together and look after the planet. » –Article Vice
« The Hopi Indians, their history and their culture » par Harry James, illustrations par Don Perceval
Le mot « communauté » lui même ne revêt pas la même signification selon les cultures et les pays. En France on emploie beaucoup plus volontiers le mot « collectif ». L’écovillage de Sainte-Camelle insiste bien sur le fait que les individus qui vivent dans ce « collectif » sont autonomes et possèdent un grand degré d’intimité. Quand les communautés ont émergé en France dans les années 1960, il s’agissait le plus souvent de mettre TOUT en commun : la maison, le terrain, sa compagne ou son compagnon, ses enfants, son salaire, etc. Beaucoup de ces expérimentations ont échoué car elles étaient trop extrêmes.
Les communautés qui se créent aujourd’hui sont conscientes de ces défis. Pour les surmonter, il est essentiel avant tout de partager une vision commune, de l’écrire et de la vivre dans des moments festifs comme des repas, des célébrations ou des cérémonies. Les règles doivent être établies très clairement pour tous. Et il est aussi clé que les membres de la communauté s’entendent collectivement sur les notions d’argent, de propriété, de travail, de gouvernance et d’intimité afin de s’assurer qu’ils partagent les mêmes idées.
Vivre en communauté implique de s’interroger de façon intime sur ses propres limites, ses peurs et ses désirs. Combien suis-je capable de partager ? Combien d’espaces et de choses privés me faut-il ? De quel degré de contrôle ai-je besoin ?…
Mais plutôt que de réfléchir toujours à ce que l’on pourrait gagner à vivre en communauté, essayons cette fois de réfléchir à tout ce que l’on pourrait y apporter.
Peace,
❤
Où trouver des communautés ?
- aux Etats-Unis : Foundation for Intentional Community
- dans le monde : Global Ecovillage Network (GEN)
- en France : Les Oasis Colibri
- en France : Ecovillage Global
- échange en worktrade : NuMundo
Plus
-Mon article: Pourquoi vivre en communauté? 1/3
-Mon article: Pourquoi vivre en communauté? 2/3
-Episode « Histoire d’amitiés – La Force du Groupe – La ferme de la Tournerie : l’histoire d’une bande de copains » du podcast « La Série Documentaire » sur France Inter
– Episode « Monogamy » de la série Netfilx « Explained »
–Episode sur les Intentional Communities du podcast « Sustainable World Radio »
-Article du New York Times « Grow Old Like ‘The Golden Girls’
-Article du New York Times « The New Generation of Self-Created Utopias »
-Le blog passionnant: « All I Want for Christmas is a new world »
-Article Vice: « Touring the World’s communes »
-Le cas d’Arcosanti : article de Vice
-Le livre: « Community Living » de Bill Metcalf
-Le livret édité par l’écovillage de Sainte-Camelle en France : « 7 incontournables pour réussir une vie collective harmonieuse »
merci beaucoup pour toutes ces infos. je souhaite rejoindre une communauté à moyen terme pour partager, travailler ensemble mais en ayant la possibilité d’avoir des moments d’intimité et de solitude. je m’interroge sur cette alliance, est elle possible ?! je pense que de toutes façons, cette manière de vivre sera plus en accord avec ma vision de la vie et le sens que j’y mets. je me mets donc en recherche de ma tribu, comme vous le dites. merci encore.
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merci à vous pour ce commentaire! Oui je pense que c’est tout à fait possible ; il faut que l’espace permette cette alternance entre vie commune et intimité. Que chacun ait suffisamment d’espaces privés pour pouvoir s’y replier. Bonne recherche, et tenez-moi au courant!
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